En ce moment, je ne suis pas très inspirée niveau clavier (en même temps, avec les enfants en vacances, ce n'est pas plus mal) alors je me contente, quand lesdits marmots sont occupés à leurs stages et autres activités estivales, de mettre la main aux dernières corrections d'un roman écrit en décembre dernier. Il devrait paraître au printemps prochain, comme d'habitude pour mes romans "ados" !
Je vous mets quelques extraits ici. Je ne sais jamais quoi choisir alors j'ai un peu pioché au hasard. J'espère que cela vous donnera envie !
Alors, à votre avis, de quoi est-ce que ça parle ? Des idées ? ;-)
[...]
J’ai commencé à mettre mes chaussures à pointes avec une grâce qu’un bélier ne
m’aurait pas enviée (chez moi, l’été a été plus taquin : il a concentré
ses pouvoirs sur la grandeur de mes pieds, plutôt que sur celle de ma beauté).
J’ai demandé :
- Mais qu’est ce qu’elle a de si spécial, cette fille ? J’ai vu de ces
blogs… Je suis sûre qu’il y a des folles qui fouillent ses poubelles pour
savoir ce qu’elle mange.
- Ou ce qu’elle ne mange pas, a corrigé Kentia, le doigt levé.
Imane a haussé les épaules, vaguement condescendante, comme pour montrer
qu’elle n’était en rien concernée par cet engouement de masse. Juliette a mis
ses mains sur ses hanches et a hoché la tête, admirative :
- Etre une it-girl, ça ne s’explique pas. C’est comme ça. Elle a un truc en
plus. Du chien.
Kentia s’est mise à aboyer et nous, à glousser comme des idiotes. Kentia a ajouté :
- Vous saviez que c’est elle qui a lancé la mode du Thigh gap ?
- Le quoi ? ai-je demandé en terminant de nouer mes lacets.
Encore quelque chose dont je n’avais jamais entendu parler. Si je commençais à me
sentir comme une extra-terrestre au milieu de mes coéquipières, la situation
était peut-être plus grave que je l’imaginais. Il faudrait probablement que me
résigne à demander à Louison une séance de people rééducation.
- Le Thigh gap, l’écart entre tes
cuisses ! a soupiré Imane, comme si c’était l’évidence même. Regarde.
Elle s’est postée devant moi et a collé ses pieds l’un contre l’autre :
- Si tu vois passer la lumière, comme moi, t’es une bombasse. Par contre, si
tes cuisses se touchent… t’as plus qu’à mettre des jupes longues pour le
restant de ta life.
Elle a commenté, ajoutant un bonne dose de mépris dans sa voix :
- Il y a vraiment des filles à qui l’on pourrait faire faire n’importe quoi.
N’importe quoi ou pas, Juliette a tout de même voulu imiter Imane, et
constatant que ses cuisses étaient marquées par le sceau de l’infamie, a haussé
les épaules, vexée :
- En tous cas, au 100 mètres, je ne lui donne pas deux secondes avant
d’écrouler ses genoux cagneux sur la piste, à la Cara.
Ensuite, je ne me rappelle plus ce que l’on a dit parce que Jim est sorti des
vestiaires, et quand Jim apparait, tout le reste disparait. Plus de starting
blocks, plus de coups de sifflets exaspérés de Seb, plus de sueur qui roule
dans le dos, plus de douleur dans les mollets, plus de lumière ou de perfides cellules
surnuméraires entre les cuisses.
Plus que Jim et mon cœur qui vacille. [...]
*********************
[...]
On a passé le reste de l’après-midi
au centre commercial. On a pulvérisé la patience des vendeuses de douze
boutiques (j’ai récolté un bon échantillon de commentaires excédés et/ou
hypocrites, depuis « elle vous va à ravir », en passant par « le
noir, ça affine », et même, photo à l’appui, un « regardez, c’est une
imitation de celle que porte Cara Delevingne »).
C’est vrai qu’elle était sublime, cette robe là. D’un bleu de Prusse qui
devenait de plus en plus soutenu à mesure que le tissu s’évasait vers le bas. Quand
je l’ai vue, j’ai tout de suite su que ce serait celle-ci et aucune autre. Peut-être
parce qu’elle m’a immédiatement rappelé la longue jupe vaporeuse qu’Ama aimait
mettre les soirs d’été. Plus petite, je pensais qu’elle l’avait taillée dans un
morceau de ciel. Hôtesse de l’air. Rien que l’expression me faisait rêver.
Soudainement, j’ai ressenti la furieuse envie d’être quelqu’un d’autre que moi.
Etre belle, comme Cézanne. Avoir de la personnalité, comme Ama. Après tout, pourquoi n’y aurais-je pas
droit ? Cette injustice me faisait affreusement mal.
Je me suis glissée dans cet espoir et le tissu soyeux en fermant les yeux.
La fermeture éclair est resté bloquée au milieu de mon dos, en dépit des grognements
de Louison pour la faire glisser jusqu’en haut.
- Attends, c’est pas une fermeture à la con qui va nous empêcher d’acheter
cette saloper… cette merveille.
Elle a émis une sorte de râle sur le « merveille », tandis qu’elle
donnait un dernier grand coup pour faire avancer le petit morceau de métal.
Enfin, elle a hurlé, triomphante :
- Yeeeessss !
J’ai ouvert les yeux et ai pris le coup de poing de mon reflet en pleine
figure.
Derrière moi, les mains posées sur mes épaules, Louison souriait à s’en fendre
la mâchoire, les joues rougies à cause des efforts déployés pour faire rentrer mon
large dos dans le fourreau de soie. Mon image ne pouvait pas être plus éloignée
de ce que j’avais espéré.
Je me suis sentie affreusement boudinée, saucissonnée dans cette robe merveilleuse
que je parvenais pourtant à rendre ridicule. Comment avais-je pu une seconde
imaginer que je pouvais approcher la beauté naturelle de Cézanne, l’éclat
singulier d’une Ama ? À nos pieds, nos sacs, nos vestes et nos foulards gisaient
comme les victimes d’une bataille. La scène était grotesque à pleurer.
Avec un sens du timing remarquable, la voix onctueuse de la vendeuse a traversé
le rideau de velours ras:
- Alooors, qu’est ce que ça donne ?
Les larmes ont commencé à couler sur mes joues. Louison a balancé une réponse à
l’attention de la vendeuse et m’a serrée dans ses bras en chuchotant :
- Oh, Mathilde, arrête… c’est pas grave, on va t’en trouver une autre. [...]
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Ne me demandez pas pourquoi la mise en page a changé, il y a des mystères qui restent impénétrables...
[...]
Avec
une lenteur infernale, je sors la barre chocolatée.
Je réalise avec stupeur que je ne salive même pas. J’en suis aussi étonnée
qu’inquiète. Je ne suis pas sûre que ce soit tout à fait normal, en fait. Comme
si j’étais au-delà de ce que je voulais être. Mais peut-être que ma perception
est simplement altérée parce que je suis fatiguée.
- Bon, tu manges, oui ? On t’attend, je te signale.
Je brise un petit morceau et le porte à ma bouche, tête baissée.
Explosion de sucre dans le corps. Les yeux m’en piquent. Je le sens presque se
propager dans mon sang, investir chacun de mes globules. J’avais oublié à quel
point c’était si bon. Et si mal. Je m’étais promis de ne plus jamais manger ce
genre de bombe énergétique. Je ravale mes larmes, me forçant à mastiquer cette
bouillie aussi obscène que délicieuse.
Seb se détend, l’air de quelqu’un dont on a satisfait le caprice. Il ne se rend
pas compte de ce qu’il vient de m’obliger à faire.
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